Le Scarabée
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Bilan 96

par ARNO*
mise en ligne : 31 décembre 1996
 

Le bilan personnel, économique et humain de la première année du Scarabée.

Vous me connaissez : fainéant comme je suis, je me serais bien contenté, comme les médias traditionnels, d’un best-of de fin d’année (et l’après-midi, je vous aurais mis Sissi Impératrice et Angélique marquise des anges). J’aurais compensé mon inaptitude à l’écriture, provoquée par une overdose réveillonnesque de picrate à bulles et de pâtés trop gras, par la mise en ligne de mes productions les moins pitoyables (et d’un bêtisier).

Malheureusement (c’est ainsi que je fais croire que j’ai un site conséquent) je garde tout ! Il n’existe donc pas d’archives inédites, puisque la structure du webzine l’a transformé à la longue en une grosse archive vaguement classée. Tant pis pour le best-of, je vais donc vous présenter un bilan du Scarabée 96. Donc :

Bilan consolidé du Scarabée

Exercice 1996

Le Scarabée est né le 10 février 96. Deux raisons à cette naissance : le 10, mon jeune frère (qui est, à mon grand regret, sportif de droite) m’a tenu un discours ultra-libéral auquel je n’ai pas répondu parce que c’était son anniversaire - ma conclusion alors : « il faut que je gueule » ; la seconde raison c’est que, le matin même, il y avait plus de cheveux dans mon peigne que sur mon crâne - conclusion : « je suis en train de rater ma vie ». C’est ainsi que, animé de la double volonté de mourir riche et célèbre (et le plus tard possible), je montais le Scarabée.

Depuis, le Scarabée est devenu un site de 8 Mo, 200 pages, dispose de sites miroirs sur deux continents (la France et la Suisse), et totalise 110 000 entrées ; c’est également, depuis août, une newsletter aussi inutile qu’irrégulière qui vient encombrer la boîte à lettres de 350 lecteurs qui en ont fait la demande. Mon objectif pour 97 : devenir la référence incontestée du Web francophone en matière de fautes d’orthographe, de liens obsolètes, d’infos approximatives et de lieux communs.

Plus sérieusement, le bilan de l’année 96 du Scarabée, c’est avant tout l’incroyable enrichissement personnel... à tel point qu’il me semble incompréhensible de ne pas monter son propre site ! Donc, si dans ce qui suit je vais vous parler de moi, c’est pour mieux vous donner envie de monter, si ce n’est déjà fait, votre home-page à vous. Il y a d’abord l’agréable obligation d’écrire régulièrement : et l’on n’apprend jamais plus sur soi-même qu’en écrivant ; la pensée se structure, la réflexion, je l’espère, s’affine, on découvre son propre mode de fonctionnement... la rencontre avec son moi. Et dans mon cas, je dois avouer que cette rencontre fut plutôt décevante !

Puis c’est la rencontre avec les lecteurs. Ceux qui découvrent, les réguliers, les habitués... dans les courriers, comme une confiance, comme une ambiance familiale, une réelle chaleur, à chaque fois étonnante. Bien plus, les messages sont d’une pertinence elle aussi étonnante, comme ce lecteur qui m’écrit, dès le premier édito, que j’ai monté tout un magazine uniquement pour faire passer ces éditos. Bien sûr, il y a les quelques haineux, aux messages orduriers, mais ils sont très rares. Non, ce qui reste, ce sont ces messages chaleureux, les petits mots pour soutenir, pour dire qu’on est d’accord, pour compléter une information, ou pour expliquer, comme dans une excuse, qu’on ne partage pas une opinion. J’insiste, car c’est la vraie bonne nouvelle sur le Net : gentillesse et chaleur, honnêteté sans détours... l’homme est bon, tout ça, et j’ai des preuves !

Revenons-t-à-moi : le relatif succès du Scarabée m’a permis de découvrir de nouveaux milieux : quelques journalistes qui m’ont surpris par leur belle âme, et également le milieu de la critique cinéma, qui m’a lui surpris par sa médiocrité crasse (un milieu aussi insignifiant que celui de la mode !). Tiens, continuons à causer de moi, puisque j’ai décidé aujourd’hui de me l’autoriser : le réseau m’a redonné goût à la révolte, à la colère, des émotions que j’adore, et que j’avais perdues avec la puberté ; et les témoignages des lecteurs me poussent à croire que, oui, « on y peut quelquechose ». La laideur du système, la médiocrité politique, la passivité face au retour à l’ordre moral et au fascisme ne sont pas des fatalités : les humains beaux et bons sont plus nombreux que les bêtes égoïstes, ringardes et haineuses (sur l’air de « We shall overcome »).

Et les webmestres indépendants : un monde formidable ! Bien sûr il y a les amis d’uZine, de vrais amis, de belles bouffes, des échanges fructueux, chaleur et soutien. Mais également tous ces webmestres rencontrés lors des soirées Mygale et UNGI : quelque soit la taille de leur page, ils ont tous, sans prétention, la volonté de participer à « quelquechose », à ce nouveau média, ce lien (ce lieu) entre les gens ; un dénominateur commun, un même enthousiasme, ils envisagent le réseau comme un enjeu culturel... pas économique, pas technologique, mais un bien culturel.

Alors, que sera 97 ? Une seule certitute, il va falloir se défendre, résister. Comment ? En durcissant le ton, au risque de ne prêcher, à terme, qu’aux convaincus, en utilisant les armes de l’ennemi, au risque de se noyer dans la merde ? Aucune idée, mais la collaboration avec uZine apportera sans doute des idées intéressantes. En tout cas le Net change, et certainement pas en mieux. Il va falloir réagir. Les journaux qui parlaient encore des utilisateurs, des enjeux culturels disparaissent les uns après les autres, ne subsistent que les fascinés du technoïde, les outils de développement deviennent de plus en plus chers, et les sites purement commerciaux monopolisent l’actualité (facile, puisque les mêmes groupes possèdent les journaux spécialisés). En novembre la Rafale se tirait une balle... est-ce le début de la fin ?

Ce serait bien triste. Car j’espère que vous avez saisi le but de cet édito : le vrai bonheur du réseau, ce sont ses utilisateurs, actifs et humains, qui s’investissent dans leur vie, aux messages profonds et chaleureux, légers et drôles, le contact d’humain à humain ; tout le contraire des sites professionnels, des spécialistes du marketing direct, froids comme des eskimos (les trucs qu’on suce pour avoir moins chaud, pas les vrais avec des poils autour pour tenir chaud), dont la seule énergie vient de la recherche du gain, aux messages calibrés, normalisés, abrutissants, le contact de vendeur à consommateur. Vues les dernières évolutions, le Net risque de devenir sous peu aussi excitant qu’une poupée gonflable.

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