Le Scarabée
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Dodi ou Ayrton ?

par ARNO*
mise en ligne : 4 octobre 1997
 

Du sang et des larmes... un show médiatique encore plus excitant que les JMJ.

Déjà, avec une semaine de Pape à hautes doses, on avait énormément souffert de nos médias. En remettant le saint père dans l’avion, on pensait qu’on allait retrouver nos médias de qualité, avec leurs reportages passionnants sur la rentrée des classes, les retours de vacances et les petits problèmes de peau dus au soleil. On allait pouvoir débattre sans fin des marques de bronzage de PPDA, du nouveau brushing de la Chazal, de la mort prématurée de Michel Field (ah non ?).

Et là, patatra, la Didi se crash en bagnole ! A Paris, en plus ! Z’auriez vu ce bordel, des journalistes partout (vous avez dû me voir à la télé, forcément : une Clio vert-bleu, bloquée devant le palais de justice par les camions des télévisions). Hyper-pro, la télé nous donne à voir cette semaine ce qu’elle fait de mieux : du cul, du cocu, du sang et des larmes.

Même Libération a rappelé Serge July de sa cure de désintoxycation pour un édito (pour que July accepte de dessoûler pour nous pondre un papier, c’est que l’avenir du monde est en jeu). Dans le même numéro, un grand moment du journalisme d’investigation : un article façon Auto-Journal dans lequel les caractéristiques techniques de la Mercedes 290 sont détaillées (un peu lourde, excellente sécurité passive, moteur peu puissant --- verdict : mauvais rapport qualité/prix). Merci Libé ! (Avec un numéro spécial « Tomb Raider » cet été (la une plus un dossier de 4 pages), on sentait bien que Libération devenait un journal sérieux.)

TF1 a fait, il faut le reconnaître, dans le très grand. Du cul : « oui, je l’ai trompé », nous confie la Didi, en gros plan à la caméra, le regard humide et repentant, confirmant ainsi qu’elle savait, elle, où s’arrêtait la vie privée. Du cocu : Charles accueilli par un Chirac aussi triste que s’il venait d’apprendre que Louis XVI est mort. Du sang : en regardant bien, sur ces gros plans du cadavre (de la Mercedes, on respecte la viande morte, à TF1 --- on n’irait pas vous montrer, par exemple, une petite fille agonisant dans une coulée de boue en Colombie, ça non), on doit bien voir quelques cheveux collés sur le pare-brise. Des larmes : des milliers d’abrutis conditionnés par ces « saloperies » de tabloïds qui chialent en gros plan à la télé (c’est pas de l’émotion racoleuse, c’est de l’info, coco).

A 20 heures, TF1 reçoit un expert, un certain Bern, grosse nouille excitée de la particule, qui gagne sa vie en pissant de la copie mondaine dans ces torchons people que ce soir il exècre (« chroniqueur royal pour le Figaro », ça c’est un titre de spécialiste sérieux). A 21 heures, le coup de grâce : Villeneuve ! (Tous les six mois, les mairies passent désinfecter les grosses poubelles vertes. C’est à ça qu’il me fait penser, Villeneuve : c’est propre, ça sent bon, mais c’est toujours une poubelle.) Ensuite Bill Clinton vient rendre hommage au combat mené par la Didi contre les mines anti-personnelles (aussi crédible que le Pape saluant les activistes d’Act-Up) --- au passage, les journalistes font mal leur travail : on attend toujours de connaître la « particularité physique » de son organe, à Bill.

Surtout, nos médias n’ont pas failli au rôle essentiel qui est le leur : remplacer la justice. Le cadavre est encore tiède, déjà on instruit le procès médiatique des assassins. Sous couvert de polémique constructive, on s’interroge : « où s’arrête la vie publique, où commence la vie privée ? », entendu toutes les 5 minutes sur TF1, la chaîne qui a décidé de lancer, comme une grande, un débat sur la déontologie du journalisme (souvenez-vous, les psychanalyses en direct, les ploucs ridiculisés au Millionnaire, PPDA interrogeant Béatrice Dalle sur un vol de bijoux, les vieilles stars déchues qui viennent raconter leur cancer chez Morandini...). Les accusés présumés coupables : les paparazzis. Les procureurs : les « vrais » journalistes et l’avocat de la famille Al Fayed. Et les jurés-télespectateurs hurlant : « Du sang ! Encore du sang ! » Au passage, remarquez qu’on a changé d’acteur au cours du spectacle : pendant deux jours, l’avocat de la famille Al Fayed était un parfait débutant médiatique, un peu mou ; depuis mardi, il est remplacé par le très télévisuel maître Kiejman (malgré une petite moustache très IIIe République, il a l’oeil malicieux et le slogan assassin). Ce n’est pas un détail à négliger : maître Kiejman, ses seuls concurrents sérieux, ce sont maître Vergès et Intervilles. C’est clair, le procès sera fait par et pour les médias. Et dans les règles, avec des rebondissements alcooliques et des témoins-surpise ; et on pleurera quand les parents des victimes viendront témoigner (à la télé, bien entendu). Vous avez raté le procès O.J. Simpson ?

Heureusement, la publicité reste égale à elle-même : bon goût et intelligence. Un camion vous pousse à grande vitesse vers un ravin ? « Heureusement vous êtes au volant d’une Citroën Saxo » ! Ma préférée : le fils Al Fayed présente fièrement sa nouvelle Clio à son papa l’émir ; « pas assez chère, mon fils », rétorque l’émir. Et il a tort : avec une Clio, il est impossible de monter à 190 km/h sur les quais de la Seine, même en carburant au whisky.

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