Le Scarabée
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Encore une victoire des terroristes

par ARNO*
mise en ligne : 31 juillet 1996
 

Un G7+1 contre le terrorisme qui renie notre intelligence de citoyens.

REUNION du G7-Russie à Paris sur le terrorisme. Bravo, tout était réuni pour un grand show politique atterrant et, bravo (bis), on n’a pas été déçus !

D’abord, le principe même du G7 est inadmissible. Se réunir pour prendre des décisions qui concernent l’ensemble du globe entre pays riches est proprement répugnant. Autant l’Union Européenne peut se prévaloir d’une convergence culturelle et d’une certaine représentativité démocratique, autant le G7 est une aberration. Si réellement on veut organiser des réunions entre riches, autant que ce soit entre grandes entreprises, ça aurait au moins le mérite d’être clair ! Et, tenez-vous bien, les 8 « grandes puissances » appellent le reste du monde (exclu donc des discussions) à adopter leurs 25 mesures ! Y’en a qui ne manquent pas d’air !

Etonnant également, les mesures adoptées hier étaient largement connues avant même la réunion. Quel était donc l’intérêt d’organiser cette époustouflante mascarade ? On a trop de sous, à Paris ? Ah oui, il fallait que tout le monde soit là pour signer les papiers (ça fait cher l’acte notarial).

Dernier point avant de passer aux mesures : le terrorisme est qualifié, allègrement, de « mal absolu » ; allons-y dans le grandiloquent : « virus terroriste »... Sans vouloir nier le caractère odieux et révoltant du terrorisme, on peut raisonnablement se demander si le terrorisme fait plus de morts que (au hasard) le sida, le cancer, les accidents de la route, le suicide ou la drogue.

Quand aux 25 mesures, elles n’en finissent pas de m’épater. Décidément, ces types du G7+1, ce sont des balaises, avec des idées ! Gageons que la présence de notre fort intellectuel Jean-Louis Debré n’est pas étrangère à autant d’audace.

Il est donc, en premier lieu, décidé de renforcer la coopération au plan interne de tous les services concernés, de développer la formation des personnels et d’accélérer la recherche et le développement de méthodes de détection des substances dangereuses. On est heureux d’apprendre que, depuis les vagues d’attentats de 86 et 95 à Paris, rien n’avait été fait dans ce domaine, et qu’il aura fallu un accord international pour que la France applique ces mesures évidentes.

Il est également convenu d’améliorer la coopération internationale et les procédures d’extradition. La France qui, sur les ordres de Charles Pasque, avait envoyé péter la Suisse en lui refusant l’extradition de deux iraniens (renvoyés chez eux avec une tape dans le dos), apparaît bien placée pour donner des leçons. Les Etats-Unis, largement soupçonnés d’avoir laissé faire l’attentat de Lockerby pour éviter un attentat sur son propre territoire (en représaille pour ses bombardements sur Tripoli), semble de même un bel exemple à suivre !

Les huit désirent de plus s’attaquer aux financements du terrorisme. Vous n’allez pas me faire croire que la France va enfin surveiller, et réprimer, les détournements des subventions agricoles européennes en Corse ? Et je ne parle pas des valises de billets et des sous-préfets trop bavards (il y a des sujets qui vexent).

Et, bien sûr, la cerise sur le gateau : contrôle de l’Internet ! Rappelons, pour mémoire, qu’un contrôle très lourd sur l’Internet a été imposé à Atlanta (ce qui n’a d’ailleurs pas choqué grand monde) et n’a pas évité l’explosion du Boing ni l’attentat du parc du centennaire (dont l’actuel suspect n’a pas appris le maniement des explosifs sur le Net mais à l’armée). Bon, l’Internet, les politiques, c’est pas leur truc, rien de nouveau...

Les 25 mesures s’attaquent aux moyens du terrorisme, et tentent d’améliorer ceux de la police. Autant dire qu’on donne dans l’à-côté et le sécuritaire. Quand se décidera-t-on, enfin, à s’attaquer aux causes du terrorisme ? Car enfin, les attentats dans un Paris complètement fliqué et dans une Atlanta militarisée, milicée et vidéo-surveillée ont prouvé qu’une fois décidé, l’attentat est inévitable. La lutte contre le terrorisme passe par la politique et non par l’overdose policière. Ainsi, en Israël, le seul moyen efficace de lutte contre le terrorisme, c’est le processus de paix, pas les patrouilles de soldats.

Jouer la carte sécuritaire est d’ailleurs relativement impossible. Les dérives gouvernementales sont, heureusement, limitées par les constitutions de nos démocraties. Les dernières tentatives législatives sécuritaires en France ont été partiellement censurées par le conseil constitutionnel (les dernières lois, justement, sur le terrorisme) et, aux Etats-Unis, les dérives autoritaires subiront le même sort. Bien sûr, on n’évitera pas un durcissement policier, mais elles seront, forcément, limitées (au moins une fois l’émotion passée) par les opinions publiques et les constitutions.

Non, il est clair que les seuls moyens efficaces sont politiques, et doivent s’attaquer aux causes. Les Etats-Unis, en dénonçant quatre pays, oublient fort à propos la Syrie, promu interlocuteur privilégié pour le processus de paix avec Israël, et la France soutient activement l’Irak. Le G7 était donc mal parti pour même éfleuré la politique. Une des raisons du terrorisme n’est-elle pas l’absence totale de cohérence politique des démocraties en Afrique et au Moyen-Orient ? Quelle est la logique de la France dans son dialogue avec l’Algérie ? Avec l’Irak ? Avec le Liban (et la Syrie) ? On est potes avec les islamistes producteurs de pétrole du Koweït et des E.A.U., et on lutte contre les autres ? On soutient les kurdes en Irak et on laisse faire en Turquie ? On est très potes avec les pays arabes après avoir attaqué, aux côtés des anglais et des israëliens, l’Egypte pour récupérer Suez ? Si tout cela ne justifie pas le terrorisme, ça doit en énerver plus d’un. Entre impérialisme-néocolonialisme, clientélisme et « réalisme économique », les politiques occidentales posent, justement, des bombes à retardement dans les pays du tier-monde.

Quant à l’impérialisme américain, ce n’est pas, loin de là, une invention des poseurs de bombes. Les chaussures Nike, pour prendre un sponsor olympique, sont fabriquées dans des pays du tier-monde où il est courant de faire travailler les enfants. Ce n’est pas avec ça qu’on peut vendre le capitalisme à des excités du plastic et de la bombonne de gaz...

Et au niveau intérieur, qu’est-ce qui pousse à l’extrêmisme religieux ou faschiste et aux dérives régionalistes violentes ? Des crises de société qu’on ne résoudra pas en augmentant le nombre de gendarmes ni en généralisant la vidéo-surveillance et les écoutes téléphoniques.

Evoquons, pour finir, l’humiliation qu’est, pour une « démocratie », le fait d’être obligée par les terroristes à légiférer « à chaud ». La réaction « à chaud », dictée par l’émotion, est la négation même de la Loi, fondement des états de droit.

Clairement, cette réunion du G7 est une monstrueuse farce, révoltante et inutile.

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