Le Scarabée
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France Inter comme on le cause

par ARNO*
mise en ligne : 4 décembre 1998
 

Quelques conseils stylistiques indispensables, pour tout apprenti journaliste.

Ainsi donc l’ami Pierre Lazuly (des Chroniques du menteur) place des articles dans le Monde diplomatique. C’est un bon début, mais il ne faudrait pas qu’il se limite à ce torchon tiers-mondiste et néo-trotskiste fait par et pour des universitaires désoeuvrés : l’idéal du journalisme, c’est quand même France Inter.

Et mon cher Pierre, je dois te dire que ton article est très bien, mais ne conviendrait pas aux bulletins informatifs de notre glorieux service publique (d’autant plus glorieux que je l’écoute chaque jour de minuit à huit heures du matin en continu), car ton style n’est ni bref, ni précis, ni correct.

Côté brièveté, comment dirais-tu : « le secrétaire national du parti socialiste » ? Je te connais, tu tournerais cela ainsi : « le secrétaire national du parti socialiste », ce qui n’est, tu l’avoueras, ni original ni efficace. Sur Paris Inter, je l’ai entendu avant-hier, ils disent : « le secrétaire national socialiste ». Ca a quand même plus de gueule !

Sache aussi que ton information manque cruellement de précision. Sur l’ORTF, l’info est chiffrée : depuis deux jours, toutes les heures, il nous est précisé que « le juge Bruguière dispose de preuves formelles à 95% », et le speaker insiste sur le « 95% ». Ca c’est précis, mon gars, prends-en de la graine. Admire un peu : « 95% », ça te fait l’info précise à un pour cent près ; ça n’est ni 94, ni 96, mais bien 95. D’accord, on peut chipoter. Si on tombe dans les 5% d’incertitude, l’information, elle, s’avérera fausse à 100%. Quand deux empreintes génétiques sont identiques à 95%, donc différentes pour les 5% de chromosomes restants, leurs propriétaires sont deux personnes différentes (à 100%). On peut encore remarquer que, si 95% des preuves accusaient O.J. Simpson, les 5% restants ont suffi à l’acquitter. N’empêche, Pierre, essaie d’être plus précis dans tes textes, écris : « le violeur à 95% de la petite Dickinson a été entendu par les enquêteurs » (qui ne l’ont écouté que d’une oreille, ce qui nous fait 47,5% de preuve formelle).

Enfin je constate que tu n’hésites pas à utiliser des mots qui fâchent. C’est pas bien. A l’image de France Inter, énonce l’information par périphrases : « le sans domicile fixe a été retrouvé sans vie » (entendu la semaine dernière). Ca sonne mieux que « clodo mort ». Voici encore quelques expressions détournées à utiliser sans hésitation : « les sans-papiers entament leur 21e journée sans s’alimenter », « sans travail depuis six ans, Jacqueline demeure sans espoirs, car son action, traitée sans ménagement par les sans-grades de la préfecture, est restée sans lendemain ».

Et maintenant, répète après moi : « alors, Jean-Marc, comment se porte le Nikkei, ce matin ? ».


P.S. Sébastien, de Strasbourg, m’écrit pour rappeler à quel point les journalistes de la chaîne d’Etat raffolent de l’expression « aujourd’aujourd’hui » (à moins que ça ne s’écrive « au jour d’aujourd’hui » ?) ; en attendant, me signale-t-il, qu’un petit malin plus à jour que les autres nous ponde un « aujourd’aujourd’ajourd’hui ». Il avait également adoré (et on le comprend) cette citation grandiose : « la classe politique française est en train de s’auto-suicider ».

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