Le Scarabée
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L'art du sondage merdique

par ARNO*
mise en ligne : 29 mars 1999
 

« Pensez-vous qu’il a trop de journaux en France ? » Oui ? Non ?

La semaine dernière (je n’ai pas pu vous en causer alors, j’étais en grève), un sondage nous est tombé dessus : plus de la moitié des Français affirmeraient qu’il y a « trop d’arabes en France ». Conclusion logique : un Français sur deux est raciste.

Sauf que oui mais non !

C’est quoi cette question ? « Bonjour monsieur, est-ce que vous pensez qu’il y a trop d’arabes en France, c’est pour un sondage ? ». Qu’il y ait une tripotée de cons en France, je veux bien. Mais, justement, ce sondage ne s’adresse qu’à eux ; à une telle question, le citoyen normalement constitué répond : « non mais qu’est-ce que c’est que cette connerie, foutez-moi la paix avec vos questions de merde ! ».

« Oui mais alors », insiste le sondeur, « est-ce qu’il y a trop d’arabes en France ? ». Et là, notre con hésite : « oui, enfin, non, je veux dire, euh, je suis pas raciste, m’enfin quand même, y’en a beaucoup, trop je sais pas, m’enfin beaucoup, oui... ». Le sondeur conclut : « alors, oui, plutôt oui, plutôt non, non ? ».

Je suis bien d’accord : pour accepter de cocher « trop d’arabes », il faut déjà en tenir une bonne couche. Mais cela va-t-il forcément plus loin ? L’explication d’un tel choix, est-ce du racisme pur et simple, de la xénophobie, un réflexe identitaire, religieux, du protectionnisme économique, un dressage médiatique, une connerie sécuritaire, est-ce l’amalgame « insécurité - jeunes - arabes » ou le classique « immigration - chômage », est-ce l’argument chevènementiste « trop d’immigration tue l’intégration »... ? La question a l’avantage de simplifier à l’extrême pour ne conserver que l’intolérable expression de la bêtise.

Avec une telle question, on ne peut s’attendre qu’à une grosse connerie, dès lors que l’interviewé a accepté de répondre. Un piège à con, rien de plus.

En allant par là, et nous le savons, il est possible de faire dire tout et n’importe quoi à un sondage...

« Bonjour madame, c’est pour un sondage, pensez-vous que l’on puisse obtenir de très importantes responsabilités politiques tout en conservant l’innocence juvénile de la pure colombe ou qu’au contraire on soit obligé d’en passer par quelques manoeuvres et quelques mensonges ? ». A la Une, ça donnerait : « Les deux tiers des Français pensent que leurs dirigeants politiques sont tous menteurs et manoeuvriers ».

« Bonjour mademoiselle, trouvez-vous normal que, pour faire monter ses cours en bourse, une entreprise se livre à des licenciements massifs ? ». Hop, conclusion inattaquable : « 82% des Français se déclarent révolutionnaires anticapitalistes ». Ca aurait de la gueule, en couverture de l’Express...

« Madame, si votre fille avait des relations (buccales, les relations) avec un homme politique, devrait-elle être livrée en pâture, pour cette raison, à tous les médias de la planète ? ». Ca donnerait : « 71% des Français pensent qu’on n’aurait pas dû parler de l’affaire Lewinsky ». A l’inverse : « Bonjour, c’est pour un sondage... si un homme politique, qui utilise l’image de son mariage et son credo dans les valeurs familiales pour promouvoir sa carrière politique, se livre à des relations adultérines avec une jeune femme qui pourrait être sa fille, faut-il que les journaux en informent le public ? ». Et voilà : « 71% des Français pensent qu’il fallait parler de l’affaire Lewinsky ».

Le journal qui a eu le bon goût de commander le sondage « trop d’arabes » n’a certainement pas rendu honneur à la presse, à sa mission d’information et à sa déontologie. Mais, après tout, la presse est libre d’être à chier, on ne va pas s’en plaindre. D’ailleurs, il faudrait en faire un sondage. « Bonjour monsieur, vous arrive-t-il d’utiliser du papier journal en remplacement du papier hygiénique lorsque ce dernier vient à manquer ? ». Conclusion éclatante : « 92% des Français se torchent avec la liberté de la presse » !

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