Le Scarabée
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La matraque « au cas par cas »

par ARNO*
mise en ligne : 23 août 1996
 

Honte et colère, suite et fin.

Ca
y est, le « signal fort » a été donné. Avec « fermeté et humanité », le gouvernement
vient de résoudre le problème des sans-papiers de Saint-Bernard : 1100 flics et CRS
ont investi l’église ce matin et embarqué manu-militari
les 300 africains. Coups de matraques, gaz lacrymogènes (en présence d’enfants), portes
enfoncées à la hache, une belle action menée en finesse et avec « humanité ».

Encore une fois, l’événement de ce matin a été l’occasion d’apprécier l’inventivité
dialectique de nos dirigeants et leur maîtrise de la langue de bois fascistoïde-mais-pas-trop.

On a ainsi appris qu’« on ne négocie pas la Loi ». Première nouvelle ! Si la loi se
suffisait à elle-même, on ne demanderait pas aux ministres de fixer des décrets d’application
 ; il est donc toujours possible, dans certaines limites, au Ministre de l’Intérieur, de la moduler (et en 5 mois de conflit dont 2 de grève de la faim, ce n’est pas
le temps qui a manqué). Surtout, si la loi s’appliquait « à la lettre », on n’emploierait
pas des juges mais des logiciels informatiques ; « l’esprit » des textes, une notion
inaccessible au minuscule Debré (de toute façon, l’esprit des lois Pasqua, c’est le
bras tendu - le droit - en direction du Front National).

On nous explique également que, ne pouvant bénéficier automatiquement du droit d’asile,
les étrangers doivent quitter le territoire. C’est la loi, ça ? La loi explicite
les situations qui donnent automatiquement droit au titre de séjour, et seulement
quelques rares situations d’exclusion ; ce que le Conseil d’Etat (dont la saisine hier
sert d’alibi à l’intervention d’aujourd’hui) rappelle fort à propos*. Et le fait
de ne pas bénéficier automatiquement d’un droit ne vous en prive pas obligatoirement.
Exemple : ce n’est pas parce que la Loi ne vous donne pas automatiquement droit à un emploi
que vous en êtes obligatoirement privé... pardon, c’est un mauvais exemple.

Les grévistes de la faim ont été évacués vers les hôpitaux militaires. Explication
officielle : « les hôpitaux militaires sont aussi bons, voir meilleurs que les hopitaux
civils ». Ce qui n’est pas faux, puisque les 10 hommes seront mieux soignés par des
médecins troufions aux ordres que par les civils qui, par déontologie, refusent d’aller
à l’encontre des convictions de leurs patients et de les nourrir de force.

J’allais oublier le meilleur : « les agitateurs », « ceux qui manipulent les africains »
 ! Oui, oui, les sans-papiers sont manipulés depuis 5 mois, récupérés, exploités par
les médias de gauche et par les partis d’opposition ! C’est sûr, une immense opération
de diabolisation du RPR était en cours !

Finalement, on se dit que, décidément, nos politiques sont les moins aptes à tirer
les leçons de leur propre expérience. En se montrant fermes, inflexibles, en soutenant
le mythe malsain et irréalisable de « l’immigration zéro », ils espèrent convaincre
l’électorat du Front National que le RPR fait aussi bien le boulot que les skins ratonneurs.
Venant d’indispensables intellectuels comme Jean-Louis Debré ou Ladislas Poniatowski,
ce manque total de discernement politique n’étonnera pas. Venant des Chirac et Juppé qui brûlent leurs dernières cartouches avant la grande débâcle électorale de 98,
ce calcul à très court terme est plus surprenant. D’un côté, ils ont déjà perdu leur
électorat modéré, repassé à gauche ; de l’autre, ils légitiment par ce comportement
intransigeant les thèses du Front National. Et l’histoire récente a prouvé que tenter
de récupérer les théories fascisantes du FN n’a jamais profité qu’au seul FN (pourquoi
voter pour un ersatz quand on a l’original ?).

M’enfin, avec 25% d’abrutis qui votent facho, une population qui se reconnait majoritairement
quelques sentiments racistes, la France a les hommes politiques qu’elle mérite, économiquement
esclaves des « marchés » et politiquement dépendants du Front National. Ca fait plaisir...

* « L’autorité administrative a le pouvoir [de procéder à des régularisations] sauf
lorsque les textes le lui interdisent expressément, ce qu’ils ne font pas dans les
cas mentionnés. » (source Le Monde)

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