Le Scarabée
Masquer la pub

Le cador des cadeaux

par ARNO*
mise en ligne : 6 décembre 1996
 

Le Scarabée vous aide à choisir vos cadeaux de Noël. Une méthode infaillible...

Voici venu le temps des choix douloureux, il va falloir décider, trancher dans le vif, comparer diverses options pour n’en retenir qu’une, voici venu le temps des problèmes de conscience, des crises intérieures, un temps où l’homme est face à lui-même, seul dans le vaste monde.

Car le vent du Nord, en venant nous congeler la moëlle des os, nous le rappelle chaque jour un peu plus : c’est bientôt Noël, la grande célébration consumériste et chrétienne. Voici venu le temps des cadeaux de Noël !

Et quel enfer, quelle angoisse que cette liberté donnée au consommateur, une liberté qu’il est obligé d’utiliser, sous peine de perdre tous ses amis (« ben, et mon cadeau ? »). Bien sûr, on lui a assez peu laissé le choix dans la date (contrepèterie ultra-minable pour désigner le 24 et le 25 décembre), mais on lui offre une vaste sélection de cadeaux possibles. L’heure du choix a sonné et, putain, c’est pas évident !

Chaque année c’est la même chose, on cherche d’abord des idées de cadeaux utiles et/ou qui font plaisir. Et les prospectus « spécial Noël » qui s’entassent dans la boîte aux lettres ne contiennent ni l’un, ni l’autre.

Commençons donc par les cadeaux utiles. Personnellement j’ai une technique : je passe un coup de fil au destinataire du futur cadeau et, au hasard d’une conversation anodine, je tente de m’enquérir des choses utiles dont il serait dépourvu. Par exemple : « tiens, j’ai vu un film génial, si tu veux je te passe la cassette... »... « ah ? t’as pas de magnétoscope ? ». Hop ! idée-cadeau : un magnétoscope ! Je note... On continue... « Faudra qu’tu m’files ton numéro de portable... » ; pas de portable ? Hop ! idée-cadeau ! « C’est marrant, je suis jamais tombé sur ton répondeur... ». Pas de répondeur ? Hop, idée-cadeau ! Au bout d’un quart d’heure, la liste s’allonge : un décodeur, un accès Internet, un lecteur de CD-Rom, un scooter, une maison à la campagne, un chien (non, pas un chien... c’est pas un truc utile), un chargeur de piles et des piles rechargeables (catalogue « spécial Noël » Conforama, page 6, excellente idée cadeau !), un vase, une piscine, un copain (non, je peux pas lui offrir un copain... c’est pas un truc utile).

Une fois constituées de telles listes pour chaque ami que j’ai, il convient de chiffrer un « taux d’amitié ». Ce taux correspond au nombre de minutes que je peux tenir en leur présence sans lâcher « voilà, voilà... ». La note 100, c’est pour l’ami indispensable, le type (ou la nana) à qui on pourrait même confier les clefs de sa voiture ; la note 0, ce n’est pas vraiment pour ceux qu’on ne connaît pas, c’est pour ceux dont on souhaite la mort. Les notes négatives, c’est pour ceux qu’on destine à une mort douloureuse ; le pire, c’est -100, on leur souhaite un supplice extrêmement lent et extrêmement oriental (ce type-là, l’année dernière, je lui ai offert une bouffe dans un resto chinois du 13e arrondissement).

Ensuite pour chaque cadeau potentiel, je divise le prix par le taux d’amitié afin d’obtenir le « rapport amitié-prix » : par exemple, le magnétoscope (1500 francs) pour Véronique (15 points d’amitié), ça donne un rapport amitié-prix de 100... beaucoup trop ! Généralement je me restreins à un rapport amitié-prix autour de 3 ou 4. C’est un bon rapport...

Ce qui est sympa, c’est que la crise favorise le rapport amitié-prix : elle fait baisser les prix, et les amis deviennent plus proches. Dans les années 80, quand les prix étaient élevés et qu’on cultivait une forme d’arrivisme individualiste exacerbé, un magnétoscope atteignait facilement des rapports amitié-prix de 400 ou 500 !

Mais à la réflexion, le cadeau vraiment utile, ça n’existe pas : mes amis, quand ils vraiement besoin d’un truc, ils se l’achètent, ils n’attendent pas Noël. Faut vraiment être pauvre pour ne pas s’acheter ce dont on a besoin... et moi, je suis comme tout le monde, j’évite les amis pauvres, ça coûte trop cher !

Alors l’autre catégorie de cadeaux pour Noël, ce sont « les cadeaux qui font plaisir ». Je veux dire : qui font vraiment plaisir, pas les trucs qui provoquent un petit « merci » gêné, où l’on vous assure que « ça fait plaisir » juste pour ne pas vexer... j’ai horreur de ça (surtout venant d’amis à qui j’avais attribué un taux d’amitié supérieur à 25). Là encore j’ai une technique : je fixe à chaque objet un « niveau de plaisir » correspondant au nombre de jours pendant lesquels je conserverais l’objet avant de le mettre à la poubelle. Exemples : 3 pour des fleurs coupées, 15 pour des assiettes décorées, 46 pour un pull, 95 pour des chaussettes Marsupilami. Ensuite je divise par le taux d’amitié, et j’obtiens le « rapport amitié-plaisir ». Encore une fois, l’idéal se situe autour de 3 ou 4.

Mais le cadeau qui fait plaisir n’existe pas. Dans notre monde de publicité, le bon consommateur n’attend pas Noël pour se faire plaisir ; car le vrai plaisir, justement, c’est l’achat impulsif : j’en ai envie, je l’achète. Y’a que les pauvres pour pas se faire plaisir... et je vous l’ai déjà dis, hein, je fréquente pas les pauvres !

Bon, je crois que je ne vais encore pas me faire chier. Hop ! Du parfum pour les filles, des bouquins pour les mecs. Ils vont pas se plaindre en plus : ils devraient déjà être heureux de me connaître...

Lire aussi :