Le Scarabée
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Le terroriste qui tombe à pic

par ARNO*
mise en ligne : 4 mars 2004
 

Quelques éléments récapitulatifs concernant la soudaine activité terroriste de l’Association des Zozos Folkloriques (AZF) juste avant les élections régionales... Disclaimer : Tout rapport avec l’actualité serait une fortuité abracadabrandesque.

28 août 1982, alors que la France est encore sous le coup de l’attentat de la rue des Rosiers, un communiqué de l’Elysée fait savoir que « des arrestations jugées importantes ont été opérées dans les milieux du terrorisme international ». Les terroristes en question sont trois Irlandais installés à Vincennes : Michael Plunkett, Stephen King et Mary Reid. Affaire montée de toutes pièces.

10 juillet 1985. Le navire du groupe écologiste Greenpeace, le Rainbow Warrior, explose dans le port d’Auckland. On découvre rapidement que les terroristes appartiennent aux services secrets français.

5 mai 1988. Les trois derniers otages français du Liban, Jean Paul Kauffmann, Marcel Carton et Marcel Fontaine, libérés la veille à Beyrouth après trois ans de captivité, arrivent à l’aéroport de Villacoublay où ils sont accueillis par Jacques Chirac et Charles Pasqua. Magouilles et nucléaire.
5 mai 1988. L’« Opération Victor », assaut de la grotte de Gossanah (Ouvéa, Nouvelle-Calédonie) par des commandos spéciaux de l’armée tourne au massacre : dix-neuf morts du côté indépendantiste, deux militaires tués. Les gendarmes retenus en otage sont libérés.
10 mai 1988. Malgré ces spectaculaires victoires du gouvernement français dans la lutte contre le terrorisme, le Premier ministre Jacques Chirac ne remporte pas l’élection présidentielle.

1999-2001. Processus de Matignon sur le statut de la Corse. Selon Guy Benhamou, « Le gouvernement Jospin était prêt à tout pour avoir la paix sociale avant les élections, mais visiblement cela ne va pas se faire, parce l’édifice alambiqué s’effrite chaque jour davantage. » Pour l’Express,
« Le président cherche le meilleur moyen d’exploiter le dossier contre Lionel Jospin ».

26 juillet 2001. Alors que la grande affaire contre le terrorisme corse est la traque d’Yvan Colonna, Michel Debacq, chef de la section antiterroriste au parquet de Paris, alerte la chancellerie sur la grande misère de la Division nationale antiterroriste (DNAT) de la Police judiciaire. Il indique notamment que : « pour la section de répression du terrorisme interne, il est notoire que les personnels intervenant en Corse ou au Pays Basque sont insuffisants. »
Juillet 2003. Yvan Colonna est arrêté à temps pour le journal télévisé, à la fin du procès de ses complices, et 36 heures avant le référendum sur le statut de la Corse. Défaite du « oui » spectaculairement soutenu par le ministre de l’Intérieur.

Octobre 2001. Sur la foi d’un rapport d’enquête des Renseignements généraux, le Figaro prétend que l’explosion de l’usine AZF est un acte du terrorisme islamiste, et désigne un coupable idéal, un ouvrier tunisien mort dans l’explosion. Le quotidien (ainsi que Valeurs actuelles) est condamné pour diffamation.

Décembre 2002. Abderazak Besseghir, un bagagiste de l’aéroport de Roissy est arrêté en possession d’armes et d’un engin explosif dans sa voiture. Il a été dénoncé par un témoin qui passait là « par hasard ». Il s’avérera qu’il s’agissait d’un coup monté par sa belle famille qui l’accuse de la mort de leur fille.
17 mars 2003. Des traces de ricine découvertes dans une consigne de la gare de Lyon à Paris. Un mois plus tard, on apprend que les flacons de la gare de Lyon ne contenaient pas de ricine : il s’agissait d’un mélange de farine de germe de blé et d’orge moulu, d’eau, d’éthanol et d’acétone. Le Réseau Voltaire remarque que : « Ces deux affaires ont des caractéristiques similaires : (1) Elles sont des mises en scène par les médias de faits divers comme de graves affaires de terrorisme. (2) L’angle sous lequel elles sont traitées vient à chaque fois d’une fuite au sein d’un service de l’État. »
21 mai 2003. Les séances publiques du projet de loi « portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité » (dite loi Perben) débutent.

2 mars 2004. Michel Debacq est démis de ses fonctions. Selon Libération, des sources judiciaires expliquent qu’il a été démis de ses fonctions « pour ne pas avoir fait remonter à temps une affaire en cours ». Dans un autre article, Michel Debacq est présenté ainsi : « L’homme, souvent rugueux, est pourtant de l’avis de tous “extrêmement compétent, un des meilleurs professionnels en la matière même, qui pendant vingt ans a combattu la grande criminalité. Pendant un temps, Yves Bot a eu besoin de lui mais depuis quelque temps il lui cherchait des ennuis. Il aurait au moins pu négocier son départ proprement”, s’indigne un de ses collègues. Un autre ose le jeu de mots : “La vérité, c’est que Bot veut tout contrôler et qu’il veut le remplacer par quelqu’un qui soit à sa botte”. Hier, le parquet de Paris ne donnait, sur ce renvoi, aucune explication. » Yves Bot, ancien procureur de Nanterre, a été nommé Procureur de Paris en octobre 2002 ; pour lui, les juridictions de droit commun sont « incompétentes » pour juger un président en exercice car cela reviendrait à instituer « un mode de contrôle du pouvoir exécutif par l’autorité judiciaire » ; puis Yves Bot défend la loi Perben II ;
quand à l’affaire Juppé, « Cette affaire rejoint selon lui le problème, “plus large, des rapports souvent conflictuels qui existent entre la justice et le monde politique”. »

3 mars 2004. L’affaire que Michel Debacq n’a pas « fait remonter à temps » (trois possibilités : (a) l’homme « extrêmement compétent » n’a pas vu passer cette affaire importante, (b) il ne l’a pas jugée importante, (c) il n’y a pas d’affaire de terrorisme) fait la Une des médias. Un groupe terroriste aux méthodes spéctaculairement débiles menace de faire sauter des trains. Le groupe recycle le discours alter-mondialiste avec un manque évident de talent (« Mon gros doudou, le renard est libre dans le poulailler et c’est pas bien. Signé Ta Caro qui t’aime. ») Pour réclamer une rançon ridicule en dollars et en euros, le groupe terroriste fait passer des petites annonces dans Libération. Pour décrire où et comment déposer la rançon, cela donne des explications détaillées du genre « Mon gros minou, dépose mon porte-feuille près de mon écharpe verte. Signé Ton Arno qui t’adore. » ; évidemment, la remise de la rançon foire.
4 mars 2004. On apprend que, si l’affaire était annoncée à la presse, le groupe « se réserve la possibilité de
garder le silence pendant deux à trois semaines » ; le groupe terroriste s’engage donc à ne pas perturber les élections régionales de dans trois semaines. Le gouvernement envoie immédiatement à tous les journalistes de la planète une note les informant qu’il existe un groupe terroriste dangereux actuellement en France (« mais ne le dites à personne »). Le Figaro (qui doit trouver sympa de ne plus être le seul journal à lier « AZF » et « terrorisme ») nous explique ce qu’il faut comprendre : « Devoir de chacun et force de la collectivité : l’affaire vient rappeler que l’époque ne peut s’exonérer de l’État. D’un État fort. Aux moyens à la mesure des menaces. C’est-à-dire puissant mais sophistiqué, important mais mobile, réactif mais discret. Et aussi respecté. »

Octobre 2003. Les très motivés militants gauchistes toulousains Zebda annoncent qu’ils mettent le groupe « entre parenthèses ». É cette occasion, le parolier et chanteur du groupe Magyd Cherfi annonce qu’il a « un besoin de faire une pause pour porter une parole plus individualisée, pour mener à bien des projets personnels qui nous tiennent à coeur », projets qu’ils définit comme nettement plus radicaux : « il y a une certaine usure due à cette mécanique du compromis systématique ». É ce jour, le groupe Zebda n’a toujours pas condamné publiquement les actions des terroristes de l’AZF. Pas plus, notons-le, qu’aucun autre représentant de la mouvance alter-mondialiste.
4 mars 2004. En pleine affaire « AZF », le parrain de la scène politico-culturelle de Tooloose mon païs, Claude Nougaro, est retrouvé mort. Le commandant Ahmad Shah Massoud avait été assassiné deux jours avant les attentats du 11 septembre.

Ajout du 5 mars. Un lecteur me signale deux commentaires témoignant de la très prévisible notion de « terrorisme altermondialiste », telle qu’on pouvait l’attendre de la part de nos médias de qualité (objet du dernier paragraphe de cet édito).

RTL (radio) : « Premier point, les policiers ne croient guère à l’action d’un individu isolé. Ils pensent que c’est un petit groupe, trois ou quatre individus, qui se cachent derrière le sigle AZF. Des personnes qui se connaissent bien, qui partagent depuis des mois la même dérive, la même idéologie. Le ton des lettres de menace, tout d’abord : il est clairement anticapitaliste. En les passant au crible, les enquêteurs ont découvert des similitudes avec le langage de certains groupuscules antimondialistes, ceux-là même qui ont semé la violence lors des récents sommets du G8, à Gênes et à Evian. »

France 2 : « la piste s’oriente vers “plusieurs milliers de femmes et d’hommes qui auraient des comptes régler avec l’état” et qui “feraient parti de la mouvance des ultras de l’anarchisme et de l’altermondialisme ainsi que de l’extrême-gauche” et que ces personnes “sont surveillées”. »

Ajout du 6 mars. Le Figaro :
« Selon nos informations, des liens qualifiés d’« intéressants » ont d’ores et déjà été trouvés avec certains écrits d’inspiration altermondialiste diffusés sur le web. Ces investigations encore confidentielles ont débouché, depuis la semaine dernière, sur la mise sous surveillance étroite d’un certain nombre de suspects. Sans qu’aucun élément matériel ne puisse encore désigner un suspect sérieux dans le cadre de l’information judiciaire ouverte par les juges antiterroristes Philippe Coirre et Jean-Louis Bruguière. »

Libération : « Pas de culture politique élaborée, souligne un commissaire,
ce n’est ni un théoricien de la libération, ni un penseur marxiste,
plutôt un méli-mélo rouge-vert Internet de 30 ou 35 ans. »

Ajout du 17 mars. « Un homme de 37 ans a été condamné hier [8 mars] à trois mois de prison ferme par le tribunal correctionnel d’Evry pour s’être fait passer pour un membre du “groupe AZF” en lançant dans la nuit de samedi à dimanche deux alertes à la bombe. Il a fait l’objet d’un mandat de dépôt à l’audience. » Aucun ministre de l’intérieur n’a à ce jour été poursuivi pour ces motifs.

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