Le Scarabée
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Sondage secret exclusif Scarabée-BVA : la gauche remonte !

par ARNO*
mise en ligne : 5 juin 1997
 

Sondage : Introduction dans un conduit naturel d’une sonde destinée à évacuer le contenu de la cavité où elle aboutit, à étudier le calibre, la profondeur de l’organe exploré, ou à y introduire un médicament. (Il paraît que c’est très douloureux.)

Vendredi, à deux jours des élections, le Parisien (journal local, si vous ne connaissez pas, vous avez de la chance) se lance : il décide de rompre le secret et publie les fameux sondages interdits-confidentiels. Argument : la liberté d’expression. Au passage, il augmente très sensiblement son tirage et se fait le coup de pub de la décennie (en risquant, au pire, une amende de 500 000 francs).

Fallait s’y attendre, la semaine pré-électorale n’aura eu qu’un unique sujet de discussion : les sondages interdits. Et tous y sont allés de leur « liberté d’expression sur l’Internet », de leur « loi injuste » et tout le tremblement. Mais bande de cons, on s’en tape de votre « liberté d’expression de nous vendre des sondages » ! On voulait des débats Jospin-Seguin, on voulait des idées, des propositions, des programmes ! Pas des « sondages confidentiels enfin dévoilés » !

Du coup bravo le Parigot-tête-de-veau, on n’a pas eu de débat, pas d’idées, pas de propositions, pas de programmes, mais on a eu des sondages. Ouf, la démocratie est sauvée ! Arrêtez vos conneries, on l’a la liberté d’expression ; la preuve, Le Pen frappe une candidate socialiste sur un marché, le lendemain il est invité à la télé.

Depuis quand les sondages sont-ils utiles à la démocratie ? Mieux : le mensonge et la diffamation sont-ils protégés par la liberté d’expression ? On croit rêver : les Guignols de l’Info s’arrêtent pendant les élections, personne n’a critiqué cette initiative ; et même tout le monde a applaudi à cette volonté de ne pas influencer la campagne (entre nous, c’est se donner beaucoup d’importance). En revanche, l’interdiction de publier les sondages, c’est l’enfer totalitaire ! Excusez-moi, mais je trouve beaucoup plus marrant que les Guignols !

Les sondages, c’est du mensonge, de la manipulation ; faudrait pas nous faire prendre de la merde en pot pour du caviar, ni les sondages d’opinion pour l’expression démocratique (voyez les faux sondages de Charlie Hebdo chaque semaine pour voir à quel point on fait dire n’importe quoi à n’importe qui). Ceux-là même qui les défendent les ont d’ailleurs enterrés au lendemain du premier tour (c’est chaque fois la même fumisterie) : pendant un mois les journaux font leurs unes (et leur beurre) sur la foi des sondages (la gauche remonte, la droite remonte...) pour, la semaine suivant les résultats, annoncer que « tous les sondages se sont trompés », « ils n’avaient pas prévu... » ! En clair : pendant un mois on vous a raconté n’importe quoi !

Alors voilà : les temps de parole dans les médias sont tellement contrôlés que même les humoristes cessent de s’exprimer, la campagne est close quelques jours avant le vote, les affichages électoraux sont très strictement réglementés, toutes choses qui, si je ne me trompe, sont autant de restrictions à la liberté d’expression, et il faudrait nous abreuver de sondages dont on nous dit pourtant qu’ils sont toujours faux ?

Alors soit, la loi est mal faite. Pas parce que certains arrivent à la contourner et à diffuser les sondages. Pas parce que l’absence de prévisions nuit à la bonne marche des institutions (on doit voter comme on le décide, pas en fonction des autres votants... on n’est pas des moutons). Si l’on veut rendre son efficacité à la loi, ce n’est pas en la supprimant purement et simplement (au nom d’une pseudo-liberté de publier des chiffres faux), mais en interdisant les sondages eux-mêmes. Du coup tout le monde est à égalité : les politiques, les journalistes, les traders des bourses ne diront plus : « j’ai les chiffres mais j’ai pas le droit de vous les donner » (dans le cas de la bourse, on frise le délit d’initié), ils n’auraient pas de chiffres du tout. Et on pourrait voter en fonction des programmes, des idées, des propositions, et pas en suivant les sondages. On ne demanderait plus aux Juppé, Jospin, Seguin, Hue... : « alors, comment analysez-vous les derniers sondages ? », mais : « alors, que proposez-vous ? ».

Vous ne me ferez pas croire que notre pays en sortirait moins démocratique !

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