Le Scarabée
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Ta mère en short le vendredi

par ARNO*
mise en ligne : 15 avril 1997
 

Les milieux financiers nous offrent un bel exemple de ce que seront les acquis sociaux du XXIe siècle.

Chaque fois qu’un acquis social disparaît ou qu’un crime économique est commis, on croît détenir le coupable idéal : les milieux financiers.

Or c’est une erreur : ces impersonnels milieux (d’ailleurs, c’est où, le milieu de la mondialisation ?) ont inventé un acquis social unique, génial, dont on aimerait tous bénéficier. En effet, dans tous les organismes financiers et banquaires de la planète, le vendredi, c’est casual friday (décontracté le vendredi) ; c’est l’autorisation hebdomadaire de venir travailler en tenue allégée.

On n’imagine pas à quel point cet acquis est apprécié des employés du monde financier : non seulement ils adorent pouvoir tomber, une fois par semaine, le trois-pièce sombre et le tailleur strict, surtout ils peuvent partir en week-end en quittant le bureau, sans avoir à se changer dans le taxi. Génial, non !?

Bien sûr, dans les banques américaines, un petit fascicule explique clairement les limites du casual. Sinon les employés viendraient fringués en Tommy Hilfiger. Oui, le comble de la décontractitude branchée à l’américaine, c’est le total streetwear look à la Tommy Hilfiger : pantalon ultralarge flottant aux genoux, caleçon remonté jusqu’au nombril histoire (1) d’être bien soutenu au niveau de là où il faut, (2) qu’on puisse lire la marque du calbut qui dépasse du pantalon, et haut de survêt avec la capuche... Heureusement donc, un petit mode d’emploi vient fixer les limites, afin d’éviter que les traders et autres market-makers ne ressemblent, le vendredi, à des stars du gangsta-rap façon MTV.

Du coup, on découvre une autre génialissime idée sociale du monde de la haute finance : les multiples guides et how-to qui expliquent aux employés le fonctionnement de la vie. Les plus indispensables : comme parler à un noir (non-white human being), comment s’adresser à un juif... Les mâles consultent quotidiennement le fascicule qui décrit l’attitude à adopter en présence d’une femme (non-male person) sans risquer d’affreux malentendus et d’interminables procès pour harcèlement (en gros, il suffit d’éviter de leur parler, de les voir, de les toucher). Un petit guide vous apprendra à respecter les droits des gays (non-heterosexual citizen). Et pour les déplacements à l’étranger, le how-to adapté vous apprendra comment aborder les populations non-américaines. Encore une fois, on n’imagine pas à quel point il est agréable de se libérer l’esprit de toutes ces tracasseries futiles du rapport à l’autre, et de bénéficier gratuitement (gloire à nos généreux patrons) de ces guides d’engeneering social. Je vous le disais : génial !

On le voit, les milieux financiers, qu’on accuse de tous les maux de la terre, sont pourtant très en pointe dans le secteur social : des employés heureux, qui savent profiter sans excès de toutes les bonnes attentions de leurs patrons. Nous, bêtement, on s’attache à réduire la fracture social, préserver la sécu, les retraites et l’assurance chômage, on réclame une hausse du SMIC et la réduction du temps de travail... irresponsables que nous sommes !

On a tout faux ! Sachez-le : la prochaine grande avancée sociale, c’est la généralisation, à tous les secteurs de l’économie, du casual friday et des guides de comportement. Si nous voulons le bonheur des générations futures, ce sont bien ces droits qu’il faut revendiquer, et pas ces archaïsmes qui nous pourrisent l’activité économique...

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