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Télérama en plein délire spirituel

par ARNO*
mise en ligne : 30 octobre 1996
 

Ca y est, Télérama nous pête un boulon. Et quand ils dénoncent le violence à la télé, leur discours a des relents de déjà-vu.

J’AIME BIEN TÉLÉRAMA. Chaque semaine, je m’inocule leur dose de propagande de chrétiens réacs déguisée sous une prose pour instituteurs jospinistes, je m’énerve un bon coup, je découpe le cahier central (les horaires des salles de ciné), puis je balance le reste du torchon à la poubelle. C’est comme une drogue : une montée de colère fulgurante et immédiate, et une lente redescente à la relecture des programmes télé...

Mais cette semaine, y’a overdose. Dans leur traditionnel dossier sur la violence à la télé (grosso-modo ils dénoncent la violence télé une fois par mois), ils ont dépassé les bornes, et je risque de ne pas décolérer pendant plusieurs jours... et ça, c’est pas sain ! Un long article à mon avis d’une mauvaise fois délibérée, tant les arguments sont fallacieux et les amalgames insupportables. Au risque de répéter les arguments déjà développés dans l’édito « A moins de 4, je zappe ! », voici donc quelques réactions à chaud à ce ramassis d’immondices. Sous couvert de discussions et d’argumentations culturelles, Télérama se place comme tête de pont du lobbying catholique en France ; et un peu de manipulation ne nuit pas.

D’abord les films dénoncés (quand je vous disais, la dernière fois, qu’à travers la télévision ils attaquent le cinéma), à partir de jugements d’autorité affligeants. On commence avec Tueurs-nés, d’Oliver Stone, dont la valeur pousse-au-crime semble désormais universellement reconnue (ben oui, si des ricains font un procès, c’est pas pour rien) ; alors oui, Tueurs-nés est un film ultra-violent et, pire, à la violence ésthétisée et fascinante. Et c’est là justement la grande force de cet indispensable film qui dénonce les travers de la violence à l’écran en tombant dans tous ces travers ; le malaise qu’il provoque, par sa surenchère d’images gratuites et racoleuses, est bien plus efficace que l’inutile condensé de lieux communs de Télérama. Dans le même sac : Léon et Pulp-Fiction ; on y cherche encore les scènes de violence ! Mais bon, Télérama parle de films qu’il n’a pas vu, ça se confirme...

Régulièrement le cinéma nous sort des films qualifiés d’ultraviolents, et condamnés systématiquement, car soit-disant incitatifs. Bel aveuglement qui consiste à ne pas reconnaître leur caractère de constat social ou même visionnaire. Orange mécanique, Taxi driver, Apocalypse Now sont des films à la violence dérangeante, et c’est tant mieux, car la violence urbaine et la guerre doivent déranger : pourtant elles ne sont pas le fruit de la télévision (mais j’ai peut-être raté un épisode du club Dorothée...).

Du coup, monsieur Télérama ne va pas s’arrêter en si bon chemin... hop ! il dénonce le rock, le rap, et les clips qui vont avec ! Génial, nous voilà de retour dans l’Amérique puritaine des années 50.

Autant le dire, le rock n’a d’intérêt que dans la révolte, la colère, c’est une musique symbolique, par essence, de la violence adolescente. Et le rock violent n’est jamais né de la violence télévisée, mais toujours en réaction à une autre violence. Dans les années 50, il a choqué par son rejet de la répression de la sexualité adolescente ; alors ces corps qui s’agitent en des mouvements suggestifs, oui c’est violent ! Le rock de la fin des années 60 et du début des années 70 s’est encore musclé, en réaction notamment aux mensonges d’état, aux guerres (oui, aux guerres télévisées, et faut-il s’en plaindre ?) et à la répression des mouvements étudiants. Nouveaux sursauts de rock violent, avec le punk des années 70 et le rock des années 90 ; encore une fois, des réactions à des conditions sociales qui écrasent et sacrifient la jeunesse. Si le rock n’était pas violent, ce ne serait pas du rock... de la même manière que le rap est et doit être violent. Il faut quand même tout l’aplomb de Télérama pour condamner la violence d’une musique née dans les ghettos ! Belle hypocrisie que de mélanger les causes et les effets.

Allons-y également dans la traditionnelle attaque contre les mangas, finement qualifiée de « japo-niaiserie » (oui, ils ont le sens de l’humour de répétition, à Télérama). Reconnaissons l’insondable irresponsabilité qui consiste à intégrer des mangas pour adultes dans des programmes pour enfants (tel « Ken le survivant », qui a tant choqué). Mais mettre tous les mangas (déjà le terme est impropre) dans le même sac, estampillé « graphisme sommaire, images laides, univers sinistres, idéologie dangereuse », c’est le genre de raccourci qui fait plaisir et démontre une grande ouverture d’esprit !

Le tout agrémenté d’une géniale citation d’un abruti américain (à la longue, on va dire qu’il y a redondance) : « Pour la première fois dans l’histoire de l’humanité, la plupart des récits mettant en scène les individus, la vie et les valeurs sont transmise non par les parents, l’école, l’église ou par des institutions proches qui ont un message à transmettre, mais par des conglomérats lointains qui ont quelquechose à vendre ». Plutôt le catéchisme bien de chez nous que les mangas de là-bas ! A ce train-là, c’est bientôt la faute des juifs et des francs-maçons...

Alors puisqu’on est dans la citation de haute tenue morale, je vous cite ce texte de 1938, « Réclamation des dessinateurs français aux autorités », qui contient déjà mot pour mot les délires douteux de Télérama et de ses sources :

« [Parlant des illustrés américains : Hurrah !, Jumbo, Mickey, Robinson...] En effet, trois constations s’imposent au premier chef : 1) Ces illustrés se singularisent par une vulgarité criante. 2) Ils mettent en relief, dans les sujets traités, des sentiments, des coutumes, des moeurs qui ne sont pas de chez nous et dont la morale est souvent exclue. 3) Ils glissent à profusion dans leurs images des personnages à peine vêtus (hommes et femmes), ces dernières étalant avec complaisance des formes toujours avantageuses, et bien propres à troubler les sens en éveil de nos jeunes lecteurs.

C’est à croire que les parents se désintéressent complètement des lectures de leurs enfants et ne les contrôlent jamais. Certaines lectures sont dangereuses pour la jeunesse, chacun sait cela. [...] Voilà pour le côté nettement malsain de ces publications d’importation et ceci suffirait, si tous les parents étaient avertis, pour que l’on fasse chaque semaine, dès leur parution, des autodafés de tous les Robinson et autres Hurrah ! »

Voici donc un texte de 1938 résumant exactement la position de Télérama aujourd’hui. Et si l’on ajoute que parmi ceux qui soutenaient ces thèses se trouvait en bonne place la presse confessionnelle (largement rexiste en belgique), on ne s’étonnera pas de trouver Télérama (du « Groupe des publications de la vie catholique » - à l’époque, Bayard avec son « Groupe de la Bonne Presse » était déjà un chef-d’oeuvre d’ouverture d’esprit) menant ce nouveau combat d’avant-garde !

Et pour finir, une bonne dose d’insupportable niaiserie politiquement correcte : « le succès faisandé de la boxe ». Car il faut le savoir, la boxe n’est pas un sport de gentlemen, c’est une saloperie hyper-violente et « faisandée » qui incite nos jeunes à se massacrer au fusil d’assaut ! Ben quoi, monsieur Télérama, t’as oublié la tauromachie ? Par ce que c’est sûr, tout ça, c’est pas bien, ce sont des appels au meurtre lancés par les forces maléfiques des grandes multinationales du parti de l’étranger. Comme le tabagisme.

Voilà donc notre monsieur Télérama, ses chrétien-médias et autres fadaises réactionnaires prêchant pour une télé pacifiée, puridiée, politiquement correcte. Que la foi exulte dans un immense autodafé libérateur : au feu les films ricains, au feu les séries avillissantes, au feu les mangas, au feu la boxe !

Hé, Ducon, dans les semaines à venir, des dizaines de milliers de réfugiés vont être massacrés à la machette dans l’Est du Zaïre : sans doute que là-bas aussi, on regarde trop la télévision !

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