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Un étranger en stationnement illicite

par ARNO*
mise en ligne : 14 mai 1997
 

« Tu l’as bien garé, ton étranger ? Fais gaffe, ils alignent, maintenant. »

Le 12 mars dernier, nous apprend le « Canard Enchaîné », Etemadi Al-Agha Nasser lit le journal sur le quai du métro. Soyez attentifs, car c’est important pour la suite : Etemadi se livre à deux activités distinctes, il lit le journal ET il attend le métro. Avec un nom pareil, comprend immédiatement le lecteur toujours attentif, le gus doit avoir une tête à poser des bombes islamistes ou, à défaut, à contrevenir aux plus élémentaires lois Debré du savoir-vivre en France.

Et tenez-vous bien, le type a l’outrecuidance d’ajouter à son délit de sale gueule un crime qui le fait passer, aux yeux des bonnes gens, du statut d’étranger qu’on tolère parce qu’il ne la ramène pas à celui de chartérisable : Etemadi, tout à la lecture de son journal, laisse passer une rame et poursuit son activité de subversion (lire en public) sur le quai.

« Tiens, tiens » se disent illico les contrôleurs de la RATP dans leur minuscule cerveau (classiquement une casquette plate ne peut que dissimuler un encéphalogramme lui aussi plat), « un arabe qui lit, c’est pas clair c’t’histoire ». Hop, contrôle de « votre ticket siouplaît ». Titre de transport parfaitement régulier (c’est-à-dire vert et poinçonné).

« L’affaire se corse », se disent ces administrés de Tibéri (tiens, faudra que je la replace, celle-là), qui se font aussitôt rescousser par quelques agents de police, eux aussi dotés d’idées largement préconçues et de casquettes plates. Lesquels contrôlent « tes papiers siouplaît » avec zèle et efficacité. Peine perdue, le zigoto (qui je le rappelle, a un nom indéchiffrable même pour le plus éduqué des flics en tenue, alors que lui même lit un journal avec plein de petites lettres imprimées à l’intérieur, c’est pas possible c’est de la provocation) joue au plus fin et présente sa carte de séjour, parfaitement en règle.

Du tac au tac, nos héroïques représentants de l’ordre réagissent en jouant au plus con (et à ce jeu-là, ils sont rarement perdants) : le contrevenant à rien (sauf qu’il est bazané) se voit notifier un procès-verbal d’infraction de 400 francs pour « stationnement illicite » et à 250 francs pour frais de dossier (dès qu’un flic est obligé d’écrire, le dérangement est facturé en proportion de l’effort fourni).

Alors on commence à comprendre la notion de « trouble à l’ordre public » qui permet, selon les termes des lois Debré, de ne pas renouveler un titre de séjour. Si manquer une rame de métro pour cause de lecture assidue c’est du « stationnement illicite », on voit que le délit de sale gueule est la base même des troubles à l’ordre public.

Continuons la lecture des hebdomadaires (moi je suis Français, blanc de blanc, alors j’ai le droit, et même sur le quai du métro si ça me chante). Le « Canard » revient sur les propos de Jean-Louis Debré (auteur monomaniaque des lois du même nom). Après le bruit et l’odeur des voisins de palier (version Chirac), voilà que les étrangers viennent nous dévaliser jusque dans nos cuisines : « Est-ce que vous acceptez que des étrangers viennent chez vous, s’installent chez vous et ouvrent votre Frigidaire, se servent ? ». C’est ça, Loulou, qu’un sang impur abreuve nos bacs à glaçons !

Notre indispensable estropié du mou se rattrape quelques jours plus tard comme il peut : il voulait dire « étrangers en situation illégale ». Ben tiens. Du coup, la lecture de « Charlie Hebdo » (même semaine) nous éclaire sur ce terme. Il y est reproduit une lettre (sur papier à entête du Rassemblement pour la République) envoyée par Christian Cabal (député RPR de Saint-Etienne) à ses sympathisants le 7 novembre 1996 (juste avant les lois Debré) : « Je vous informe en outre qu’une campagne va être lancée par le RPR pour lutter contre l’immigration clandestine. Sachez que nous sommes obligés de faire figurer "clandestin" pour des raisons de droit, l’objectif étant bien entendu l’arrêt de toute immigration et même bien évidemment le retour le plus large possible chez elles pour les populations concernées ». Bien entendu... En voilà un qui ne prend pas de gants, dites donc !

Debré n’évoquait donc, « bien évidemment », que des pilleurs de frigos « en situation illégale ». C’est pas plus compliqué que ça, on dit « en situation illégale » pour d’évidentes « raisons de droit », comme le délit de sale gueule se dit « stationnement illicite » pour les mêmes évidentes raisons.

Circulez, y’a rien à voir...

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